Ce matin- là, elle se réveilla avec une sévère gueule de bois. Il y en avait eu d’autres auparavant, mais celle-ci avait une saveur particulière, celle d’une douleur sèche et martellante, comme si l’humanité toute entière faisait des claquettes sur sa tête. Elle se sentait comme prise au piège sous les décombres d’un tremblement de terre, attendant du secours dans une terreur mêlée de résignation. Jamais de pareille sensation elle n’avait éprouvé. Une sensation où la vie n’a plus de prix pas même de cours, où la notion de temps n’existe plus, où on ne se sent plus rien qu’une petite boule qui va bientôt s’éteindre dans l’indifférence générale. Il faut dire que la nuit avait été longue, et pour cause, elle avait duré quelques milliards d’années.

Elle c’était Joséphine Terrabella, quelqu’un d’à la fois simple et extraordinaire, dont je vais ici vous relater l’histoire pour le moins édifiante. J’avais pour ainsi dire toujours connu Joséphine. Elle faisait partie de ma vie, ou plutôt de nos vies, sans qu’il soit utile qu’on se le dise car le sachant intrinsèquement, et surtout s’en sentant rassurés sans même s’en rendre compte. L’apanage de l’essentiel au fond, une présence discrète et sans failles dont seul l’arrachement nous met face au vide et au regret de ne pas l’avoir d’avantage réalisé et chéri.

Je ne la voyais pas souvent mais c’était toujours un réel bonheur d’être reçu ou même juste invité par cette grande dame. C’était quelqu’un de charismatique et abordable qui savait vous mettre à l’aise et surtout qui vous offrait tout ce qu’elle avait sans compromis. On profitait donc volontiers et naturellement de sa maison ou de sa bonne cuisine, comme on le fait chez sa grand-mère à la table dominicale, sans jamais se sentir redevable. Elle gravitait par ailleurs dans toutes sortes de milieux, trouvant de l’intérêt et du charme à chacun même si ne les comprenant pas tous. Et ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’est avoir autour d’elle des gens de tous horizons, de toutes cultures. Et ce fût le cas en ce venteux samedi midi de juin. Elle m’avait appelé comme à son habitude quelques jours auparavant, sans plus donner de détails, juste me dire qu’elle avait une importance annonce à faire. Le ton n’était pas pressant mais une pointe de gravité enveloppait les silences.

J’arrivais donc le jour suivant, dans cette belle propriété où j’aimais parcourir la longue et majestueuse allée d’arbres qui débouchait sur une intrigante bâtisse. Ça ne correspondait à rien de vraiment lisible mais c’était d’une évidente perfection. Comme lorsqu’on découvre un nouveau- né, non sans un certain émerveillement et qu’on se dit qu’il a deux bras deux jambes et que, à priori, il contient tout.

Quand à l’intérieur de la maison, on y trouvait toutes sortes d’objets, curieux mélange d’époques et d’influences trouvant finalement une certaine harmonie de tous ces tiraillements. La tonalité générale était foisonnante et généreuse, à l’image de ce splendide béniter sur la console de l’entrée débordant de fruits et autres coloquintes. Une d’entre elles était tombée au sol et ressemblait étrangement au visage d’un troll vérolé, m’indiquant le chemin vers la cuisine dans un sourire narquois.

C’est dans les entrailles de cette usine à gaz que je trouvai Joséphine de dos, afférée à je ne sais quelle tâche dans un geste lent mais rythmé, le nœud de son tablier soulignant délicatement sa nuque. Des odeurs mêlées d’épices et de fumet de poisson enveloppaient la pièce. Le gaz porté à feu vif alimentait poêles et casseroles en cuivre de toute taille et d’où s’échappaient une vapeur dense qui grimpait langoureusement le long des fenêtres. Sans se retourner, elle pointa de son couteau verres et vins en carafes posés sur le plan de travail, m’incitant à en disposer. Je n’étais visiblement pas la première…

Nicolas Hulot était assis sur l’ilot central en grande discussion avec Joséphine, discussion que je ne comprenais pas vraiment mais dans laquelle il semblait être en difficulté. Il agitait ses mains dans tous les sens, et penchait sa tête sur le côté à intervalles réguliers comme pour implorer le pardon. Joséphine, elle, demeurait impassible et toujours de dos, comme dans un arbitrage silencieux et pesant pour son interlocuteur. Il leva les yeux vers moi mais ne s’interrompit pas pour me dire bonjour. Il me regarda furtivement ne sachant encore lui-même si je dérangeais ou bien si finalement, il pouvait m’utiliser comme une aide providentielle pour venir l’arracher à cette conversation. Je compris juste ces quelques mots où il jurait ne plus être derrière la marque Ushuaia qui, selon Joséphine, n’avait de vert que la couleur de l’emballage, puis il évoqua de manière assez confuse des caisses de noyaux d’abricots qu’il avait plein l’arrière de son 4×4, prêtes à être envoyées en Amazonie où il était question d’un projet de reboisement suite à une négligence.

Non loin d’ici et je ne la vis pas tout de suite, Angela Merkel triait toutes sortes de déchets avec méticulosité et cadence. Elle traversait la pièce de part en part, moulée dans un T-shirt « I Love Gretaaaaaaaa Thunberg », le T- shirt visiblement trop petit étirait les lettres centrales   comme un « Poom » dans une bulle de BD. Elle cherchait l’attention et l’approbation de Joséphine, puis déposait dans un bac à composte quelques épluchures de pommes de terre et autres carottes qu’elle tassait de ses doigts potelés. Elle non plus ne me dit pas bonjour.

La situation était totalement incongrue et pour autant me semblait normale. Je notai cependant que cela ressemblait d’avantage à un G7 façon jugement dernier qu’ à un déjeuner chez ma grand-mère et je ne comprenais pas le but de ma présence puisque personne ne me parlait. La suite des évènements de la journée allait définitivement renforcer ce sentiment.

Ne trouvant aucun écho même à un simple bonjour, je décidai d’aller tenter ma chance au salon. La première vision fût édifiante. La pièce était comme assiégée voire vandalisée.  Il y avait du monde partout. De petits groupes de ça de là, des visages connus et d’autres moins ou pas, une sorte de frénésie ambiante dans laquelle se détachait des clans mais aussi des esseulés dont certains marchaient hagrads, le regard vide teinté de folie. Les rideaux avaient été arrachés, et non sans un certain style reconfectionnés en tentes berbères sous lesquelles une frénésie de troc en tout genre et autres ateliers se tenaient. Julian Assange un peu amaigri et l’œil allumé prodiguait des conseils pour investir dans le « greencoin », vanté comme la monnaie, voire l’économie de demain, ça avait l’air d’être un bon plan, aussi je tendais l’oreille.

Des saoudiens rameutaient quelques pauvre âmes errantes qu’ils forçaient littéralement au forage sauvage de certains coins du salon ayant quelques intuitions. Lorsque celles-ci s’avéraient justes, ils jetaient une poignée de dollars aux malheureux les traînant avec avidité vers d’autres gisements potentiels.  Un gros texan reluisant aux lunettes fumées invectivait un petit groupe de chinois, les plus bas instincts s’illustrant de façon formidable :

« La différence et l’avantage avec nous c’est que ce qui se passe à Vegas reste à Vegas… on ne peut pas en dire autant de vos provinces de merde où on bouffe du hérisson !

-Du Pangolin pauvre inculte, et tu ferais bien d’en bouffer toi aussi si tu veux te voir pousser quelque chose entre les jambes ».

Le ton était donné.

Au milieu de cette cohue, je vis tout à coup mon amie Estelle qui tentait de rassembler la foule en répétant mécaniquement :

«Silence Messieurs Dames, nous allons faire une annonce d’ici trente minutes rassemblez -vous s’il vous plaît et taisez-vous… Oui « Tout le monde descends » c’est la sujet de l’allocution. J’ai un master en développement durable donc oui je sais de quoi je parle Monsieur et vous allez moins la ramener d’ici quelques minutes croyez-moi !»

Tout le monde descend ? Descendre de quoi et surtout pour aller où ? J’étais dans la confusion la plus totale et encore un peu absorbée par les joutes oratoires se tenant sous la tente. Lorsque que je voulus l’interpeller me sentant rassurée de connaitre celle qui semblait régir un peu le chaos elle me répondit sèchement d’un:

« T’auras bientôt plus que tes yeux pour chialer chaton, fallait trier eh oui !».

Cette remarque cinglante et quelque peu alarmiste me laissa sans voix. C’est à ce moment que Josephine arriva dans le salon, la silhouette frêle et la mine grave, suivie de Nicolas Hulot, tel Golum derrière son bon maître. Le monde entier était massé là. Comme un jeu de domino géant qui avance implacablement, le calme se fit dans l’assemblée et elle commença :

« Si l ’intelligence de certains vous a fait voler, ou éclairer, la cupidité et l’ambition de beaucoup d’autres aura eu raison de votre propre royaume, sacrifiant au passage tous ceux qui ne pouvaient tenir la rampe.  L’addition n’est pas salée, elle est ultime. Je vois encore des petits malins qui ne comprennent pas et sont déjà entrain de voir comment ils vont pouvoir aller dézinguer Mars. Monsieur Musk oui, vous là caché derrière votre casquette et votre staff d’ingénieurs geek dégénérés de dix- sept ans qui n’ont pas encore tirer leur coup mais lancent des fusées ! Tous vous avez contribué à votre propre fin et vos initiatives désepérées n’y pourront rien. M. Gates même combat, vous pouvez fanfaronner avec votre plan blanc pour 2050, soit 30 ans de vomi à ravaler, ne pensez-vous pas que cela fait beaucoup pour un seul homme ? »

Dans la catégorie des pollueurs confirmés mais loin d’être le pire, Bill Gates avait en effet annoncé qu’il allait re- absorber pas moins que toute son emprunte carbone via différents procédés. Il avait apparemment déjà enclenché le processus car, à tant vouloir devenir vert, il était désormais soufflé et noir ! Super Vixen, alias Angela Merkel, semblait moins sidérée de cette nouvelle apparence que charmée par la personne. Le monde avait donc changé me dis-je intérieurement.

« Ah ça on peut dire que vous en avez bien profité, pas tous évidemment, comme l’exception qui confirme la règle seule une poignée d’êtres a réussi à faire condamner le monde entier. Regardez-moi bien, oui je sais mon regard et ma carcasse sont devenus difficiles à soutenir et pour cause je suis malade et les pronostics ne sont pas bons. On me parle de délai mais en aucun cas de rémission. Le poison a envahi chaque recoin de mon être. Je suis défigurée, mon pouls est faible, mes articulations rouillées, ma vue brouillée, mon dos cassé, mon âme essorée. Je suis cette accidentée de la route a qui on vient piquer ses derniers effets avant de la faire rouler dans le fossé bien certain qu’il n’y a plus rien à en tirer. Je vous vois grimacer, peut-être enfin ressentez- vous ma douleur. Car vous, c’est moi ou plutôt moi c’est vous. Je vous étais offerte, mais avec l’accord tacite d’un entretien minutieux. Au lieu de cela j’ai été bafouée, violée, usurpée, asséchée, profanée et tant d’autres choses encore… »

Nous commencions tous à régresser sous l’effet écrasant de la honte que l’on évacuait dans la fourberie d’un sourire idiot nous désignant évidemment coupables. Je dis presque tous car il restait les irréductibles super menteurs que rien ne réduirait au silence à part le grand clap de fin. Ainsi, pour Patrick Balkany, la scène se jouait toujours. Il avait réussi à s’attirer l’attention d’un groupe de coréens à qui il taxait des clopes tout en les félicitant de cette capacité à faire régner ordre et obéissance, notamment chez leurs homologues du nord qu’il décrivait comme des gens structurés, reconnaissants envers leurs guides, et dotés d’ un sens inné de la chorégraphie de masse. Il avait semble t-il été repris de justice mais surtout de justesse sur un projet d’échange entre villes jumelées « Levallois / Pyongyang » qui, selon ses fantasmes de père de la nation, aurait eu une certaine allure sur le parvis de la mairie. Puis, tel un vieux druide donneur de leçon, il leur disait :

« Vous savez chez nous ils vont bientôt transformer les deniers couloirs de bus en plantation de quinoa si on ne fait rien. Rien de pire que les greluches écolo- socialo -revanchardes au pouvoir ça n’a jamais rien donné de bon, elles feraient mieux de faire leurs bocaux pour l’hiver et d’arrêter de nous casser le couilles.»

Disait-il drappant toute son auto-satisfaction dans un rire sonore se terminant dans une toux caverneuse. Les pauvres ne comprenaient évidemment rien et riaient surtout  jaune de voir partir leur tiges en fumée.

Il était désormais clair que nous étions dans une merde assez conséquente avec peu ou pas de porte de sortie. Je n’avais pas la chance de connaître Elon Musk, même si il était dans mon réseau Linkedin à quelques huit degrés de séparation. A ce stade il aurait fallu du lourd :  soit de l’ingénieur aérospatial à l’ambition boostée aux stéroides et aux poches bien remplies, soit du leader spirituel capable de carrément vous emmener sur du suicide collectif, mais en avais-je seulement vu passer ? Je comprenais en cet instant l’importance de travailler son réseau.  Le mien était aussi eteroclyte qu’inutile à l’aube du dernier jour ici-bas.

Nous étions donc de simples invités sur cette terre et ayant tout saccagé sur notre passage, on nous demandait instamment de vider les lieux. Quoi de plus normal? On s’étonnait moins de se faire virer d’un appartement en location dont on aurait salit les murs. Nous avions tout bâtit depuis notre économie jusqu’à nos cultures et nos religions sur ce caillou et d’un coup tout allait s’arrêter, on ne rentrerai pas à la maison ce soir.

Comment le réaliser mais surtout l’intégrer ? Il y avait eu des signaux nous disait-on, d’abord de légers acouphènes atmosphériques, puis alarmes lancinantes, et bientôt des sirènes hurlantes. On se réveillait dans un torrent de boue dans l’Hérault, tandis qu’on brûlait sur la côte ouest des Etats-Unis. Comment oser dire que nous n’avions rien vu venir? Comme si demeurer impassibles nous avait rendus indétectables à tous les radars, tels des enfants se pensant soigneusement cachés avec les pieds qui dépassent des rideaux. Chacun cherchait évidemment à minimiser la portée de son insulte. Pour ma part, je concevais avoir déconner par omission de conscience là ou d’autres s’étaient abusivement servis. En cela j’étais OK pour exploser en vol mais sans souffrances, ne sachant encore si un ranking de fin allait être appliqué.

Je fus sortie de ma torpeur par l’arrivée éminemment remarquée de Maître Gims et Greta Thunberg, arrivés par le même 747 depuis Los Angeles où ils se trouvaient chacun pour des raisons très différentes mais relié en cet instant par leur empreinte carbonne et  leur même gueule enfarinée de se faire surprendre sortant d’un Hummer stretch à trois, chauffeur compris, enfin, surtout Greta. Elle avait son air terrifiant et terrifié, celui-la même de Carrie dans le film de Brian de Palma quand on lui déverse  du sang de porc à la fête de l’école.  Elle était comme tétanisée. Elle avait du se retrouver embringuée dans une suite de situations dont elle n’avait pu s’extirper. Maitre Gims, non content que le hasard ai mis sur sa route cette caution verte l’avait aussitôt prise sous sa coupe avant  d’investir le premier rang poussant sans ménagement ceux qui s’y trouvaient et, de sa voix tonitruante, entonner  un :

« Oh ma mère , Oh ma terre nourricière, nous sommes tous à terre, aujourd’hui si peu fiers »
Des cœurs improvisés dans la foule continuant à scander :

« On est désolés mais on veut encore croquer, il doit forcement rester quelque chose à gratter ? »

On entend dire  que lorsque la fin est proche, parait-il que l’ on se raccroche instinctivement à des détails idiots liés à l’instant,  le cerveau ne pouvant faire face à  l’insurmontable et brouillant de fait la réalité. Ce devait être ce moment car je me figurais de façon très concrète que je, ou plutôt que nous allions tous probablement mourir sur du Maitre Gims et je trouvais cette fin certes bizarre, mais presque familière et surtout acceptable.

Alors que je commençais à me résigner assumant d’avoir été une ordure écologique tout au long de ma vie sur cette terre, le son croissant de l’alarme de mon téléphone me tira de l’autre côté. Je m’assis dans mon lit et, pour achever ce pas dans la réalité, j’allumai le bouton des informations. Les nouvelles étaient aussi bonnes que possible :

Il se profilait l’arrivée potentielle d’une 4e vague de COVID. On déplorait que d’irréductibles connards refusent de se faire vacciner. Un nouveau violeur « star » avait émergé durant la nuit. Un taré qui avait tué toute sa famille sur la base d’une erreur de jugement sur un possible magot de lingots d’or dissimulé dans le jardin avait été acquitté. On annonçait un été caniculaire dans tout le sud de l’Europe doublé d’un possible re-confinement au Portugal où je venais de planifier mes vacances. L’état du monde ne fût pas foncièrement une bonne surprise à mon réveil, cauchemar et réalité étaient presque juxtaposables à ceci près que je n’avais pas Patrick Balkany au bout mon lit.

Lorsque je sortis pour me rendre au bureau, je pris un bus qui annonçait la place de l’Etoile dans quelques vingt deux stations, autant dire une arrivée en grande pompe une bonne heure et demie plus tard mais curieusement je m’en fichais comme si je savais que je n’arriverai pas. Alors que nous remontions la rue Ordenner dans un vacarme épouvantable laissant un nuage noir sur notre passage, la véhicule s’arrêta soudain comme une pile que l’on débranche. Le chauffeur, après avoir cogné la vitre de sa paume énnervée, dit soudain :

« Terminus, allez allez tout le monde descend »

Personne ne bougea, comme refusant de s’executer mus par une terreur indicible.

Il continua ainsi durant de longues minutes à tenter de nous pousser vers la sortie, ou plutôt vers une autre vie, en vain…