Il était arrivé un évènement que je qualifierais d’à la fois surprenant et terrifiant.
Depuis quelques jours je me sentais comme dépossédée de moi-même, tout du moins en partie. Comme si quelque chose ou plutôt quelqu’un tentait de faire main basse sur mon espace personnel changeant par la même mon rapport au monde.

Je m’étais soudain mise à avoir l’esprit sportif  mais pas sain pour autant. J’avais l’insulte et l’emportement facile, des idées assez basiques voire extrêmement primaires. Mais il y eût bientôt quelque chose de plus notable et de plus préoccupant. Des écarts de langages que je ne me reconnaissais pas vinrent m’assaillir au détour de messages et autres conversations ou je pouvais m’entendre prononcer des phrases aussi horribles que « Y’en a qui z’ont eu peur et d’autres qui z’ont rigolé », laissant mes interlocuteurs pour le moins perplexe.
Un ami fût même formel, quand, recevant un texto de ma part précisant « c’est moi qui s’en va », que mon diagnostic était sans appel :

Franck Riberi cohabitait avec moi.

J’en avais tous les signes cliniques et orthographiques. J’avais du mal à lire et le format du roman me gonflait. Je devais constamment revenir en arrière pour savoir par exemple qui était cette cruche de Virna dont la sœur et la mère y z’étaient apparemment la même personne. Un truc de tordus je me disais. Au lieu de cela, je préférai me perdre dans l’équipe, auto-moto, mais plus encore dans ces bars chics et sobres de la rue la Boétie connus pour abriter les petits dossiers transgressifs. Ces virées constituaient aussi l’occasion de descendre quelques bières blondes en commentant vigoureusement les derniers émules du PSG, les quacks des entraineurs et émettre des critiques bien senties sur le paysage du sport en général. Cela n’empêchant bien sûr pas quelques dérapages grivois et graveleux.

C’était un peu comme apprendre à piloter une boite automatique pour la première fois alors qu’on avait pris tous les réflexes du manuel depuis les vingt dernières années : on ne savait juste pas que c’était plus simple et il fallait réapprendre.
J’avais par ailleurs tout un tas de fonctionnalités et autres options dont je ne vis pas l’utilité immédiatement, mais que bientôt, je maitrisais d’une sportive insolence.
Ma vitesse, ma technique, ma rapidité d’exécution, ma vision du jeu de la vie ainsi que ma force de frappe firent bientôt de moi une buteuse hors pair. Les pigeons valsaient lorsque je les frappaient dans une trajectoire rase et a l’effet bien senti permettant de ne heurter personne et d’en assurer l’éradication. J’avais le drible facile, et la cheville agile. Je pouvais faire glisser jupe et culotte au bout de mon pied, les faire tourner comme les assiettes nipponnes au Cirque du Soleil, puis les lancer jusqu’au panier à linge quelques trois mètres plus loin.
Je commençais à me dire que dans certains cas de figure je n’aurai bientôt plus besoin des mains !

J’avais gagné en efficacité sur mon quotidien. J’avais des buts clairs dans la vie, deux pieds pour les réaliser, une furieuse envie d’en découdre, le tout doublé d’une bonne estime de moi mais pas la plus détestable du milieu. Ces ingrédients me permettant d’avancer et de rapidement nourrir quelques rêves sinon de gloire, de sympathie auprès de mon public.
Contre toute attente et même si je n’étais bien sûr pas réputée pour cela, j’avais des idées que c’est moi qui les avaient et des théories z’aussi. Je me sentais même dotée d’une certaine hauteur de vue et sagesse sur des sujets d’ordre généraliste. Ma profondeur n’étant quand même pas très loin de la surface, je pouvais très naturellement expliquer à une amie qui se maudissait d’être rentrée trop tard que finalement au bout de la nuit il y avait le matin et que tôt z’ou tard c’était pareil en fait. D’expliquer comment j’étais confiante que la rouetourne tourne. Je questionnai quand même au passage Francky sur les deux tours plutôt qu’un seul ?
Il me souffla alors que c’était plus sûr avec deux, un peu comme deux tours de clés et que l’on pouvait tout aussi bien tourner dans un carré…
Cette notion me laissa carrément perplexe, et lorsque malgré moi je véhiculais ces théories avec aplomb et bien j’étais surprise de constater à quel point ça passait. Les sentiers de la connerie étaient donc sans fin, a vous décourager de vouloir être intelligent.
Il était quand même mieux d’assener de pareilles conneries sur les secondes parties de soirée cela va de soi.

Je commençais à bien me rôder dans cette cohabitation à l’exception d’un module qui était totalement nouveau pour moi, et surtout ses dommages collatéraux :

J’étais désormais très riche mais j’avais d’épouvantables goûts de chiottes.

Mon appartement portait tous les stigmates d’une récente ascension encore en dualité avec les napperons au crochet de Ganny Ribery. Comme si Donatella Versace déambulait incognito dans une blouse synthétique, ça aurait pu passer exception faite que l’on ne vit pas la tête.
Par ailleurs et comme toute bonne sportive de haut niveau qui se respecte, j’avais quelques déviances mégalomanes. J’avais commandé à la manufacture des Gobelins un tapis représentant la scène de liesse de la coupe du monde 98 dans un dégradé de bleu avec ma tête en médaillon central et, tout autour, des hommes à terre ou courant vers la victoire dans l’esprit d’une scène de guerre.
J’avais aussi côté cuisine quelques petites coquetteries notamment une collection de verres à Saqué au fond desquels on pouvait observer un Didier Deschamps légèrement bridé et surtout sévèrement burné. Un parti pris sans doute dans le délire de création d’un designer japonais, accessoirement maître de la cérémonie du thé, qui avait dessiné un service complet pour Jay-Z. Autant dire une référence de choix qu’on en était fier. Ma curiosité naturelle me poussa quand même à demander quels était les héros qui émergeaient outre -Atlantique dans la fièvre des heures digestives du King du Rn’B, mais on me fit comprendre que c’était de l’ordre du secret médical. J’avais entendu dire qu’il vouait une admiration sans borne à Catherine Deneuve et au pape, ce qui laissait présager du pire en terme de scénographie.

Après « Zaia », moi qui était plutôt « Zara », je voulus maintenant forcer la petite porte du milieu artistique. J’avais bien pensé à la chanson, mais c’était bien trop évident au-delà du manque de talent.
Comme j’avais de l’humour je me dis qu’une collaboration avec une nouvelle édition du Bescherelle marquerait sans doute les esprits mais je trouva porte close en des réponses aussi polies que claires où l’on m’expliquait que malgré toutes ces qualités qui étaient les miennes je n’incarnais pas complètement les valeurs de la langue française même si on trouvait désormais chez le voisin Robert toutes sortes de nouveaux bons mots. Le corps grammatical tenait quand même un peu à sa réputation et a des trucs comme la syntaxe. Je savais pas c’était quoi le saint axe mais ça avait l’air sérieux voir divin.
Alors oui on me proposait bien de m’associer à quelques marques peu visibles, le créneau noble de la pub des parfums et autres crèmes à raser étant déjà largement occupé par le clan des beaux gosses qui, à grammaire égale, arboraient des gueules d’anges qui faisaient rêver les cagoles au niveau planétaire.

J’avais besoin de repos. Ces intrusions dans ma tête et puis ma restitution habitée de toutes ces choses me demandait une énergie incroyable. Souvenez-vous donc dans quel état était cette pauvre fille dans l’exorciste. L’être humain, aussi exceptionnel soit il n’était définitivement pas fait pour être à deux et à fortiori en interne, il fallait se rendre à l’évidence.

Ainsi je marchais pensive dans la rue lorsque je me mis à entonner « Sous le vent » avec un coffre et une puissance que je ne me connaissais pas et faisant même de petits « kicks » avec ma jambe. Puis, lorsqu’ à un feu rouge une jeune femme me demanda son chemin, je répondis avec un accent québécois qui me fit comprendre que j’allai bientôt allumer le feu !