Petite je priais beaucoup. Je priais pour que Renan, un petit garçon que j’aimais bien vienne jouer à la maison. Je priais pour qu’Hélène, une petite fille que ce même Renan aimait bien, déménage loin de là, me laissant ainsi le champ libre, et tout le loisir de rayonner. Je priais pour trouver un sandwich de grand moelleux au Nutella dans mon cartable à l’heure du goûter que je dégustais dans un royaume ou l’herbe ne piquait pas lorsqu’on s’allongeait dedans. Un royaume ou  tous mes déplacements s’opéraient à califourchon sur un nuage. La magie de la déconnexion enfantine en somme.  

 Un peu plus tard lorsque je découvris que Renan et Hélène se voyaient en fourbe, je priais pour qu’ils crèvent tous les deux. Lorsque je trouvais une pomme dans mon sac à dos sur les conseils avisés d’un nutritionniste, que je me rendis compte que l’herbe piquait voire grattait lorsqu’on s’allongeait dedans, que je faisais tout à pieds car interdite de deux roues, je me mis à prier pour des réalisations  plus en adéquation avec ma nouvelle réalité, trouvant les précédentes ridicules : Je priais alors pour assimiler tout le programme d’histoire, de maths et de géographie en une à deux nuits avant le baccalauréat en plaçant les fiches sous mon oreiller qui était selon moi, le plus court chemin vers la mémoire.   

Puis voyant que rien ne fonctionnait réellement je me mis à envisager une autre stratégie. Si Dieu et son équipe étaient charrette peut-être fallait il voire avec des saints de seconde voire troisième zone, certes des profils un peu plus « feignasses » mais néanmoins détenteurs du don familial, et surtout, qui pourraient travailler à temps plein pour moi. C’était comme vouloir prendre un ténor du barreau pour se faire défendre, le coup de com ne garantissait pas le succès.  De plus, si on y réfléchit un tant soit peu, comment voulez vous qu’un seul bonhomme même décuplé en trois, si on compte le Saint-Esprit, puisse accéder aux pleurnicheries du monde entier ? Imaginez que dans un même tuyau il a des requêtes d’aveugles qui demandent à voir, de cons à entendre, de vieux à vivre encore, des jeunes à disparaître, d’opprimés à respirer, de traitres à oublier, de fous à aimer et pour tous une seule et même réponse : trouver les clés pour s’en passer. C’est rudement brillant quand on y pense. Et pour les plus téméraires, il était même proposé de galvaniser toute cette frustration dans la douleur si toutefois on n’en avait pas assez en base. Pendant que ça gratte on ne pense pas qu’on a faim vous me suivez ? Les origines du marketing en quelque sorte… 

C’est ainsi que perso, j’abandonnai Dieu. On m’avait tellement rabâché qu’il était juste et bon que, au pire, il ne me ferait pas payer cette démission passagère. Je préférai me focaliser sur la mise en place de  l’équipe qui nécessita de hiérarchiser et d’organiser les typologies de demandes que je découpais en trois afin de quadriller toute la zone :  

Le saint « Grands projets » comme son nom l’indique serait là, aidé par quelques collaborateurs, pour dessiner les grands virages sur des sujets aussi décisifs que l’amour, le travail et la santé. Il fut le premier que je sollicitai. Il y avait du boulot et le cahier des charges était clair, j’étais prête à attendre, mais je voulais du beau, du grand, du grandiose. Quoi dire de plus ?  Il me dit que, effectivement, cela pourrait prendre un peu de temps mais qu’il me balancerait quelques dossiers afin que l’on puisse se caler et s’entendre sur le niveau attendu. Le BAT me convenait, j’attendais patiemment les épreuves en allant voir le second.  

Le saint « Aux petits bonheurs » était en fait un relai permettant de patienter en attendant les grandes réalisations. Je vis immédiatement à qui j’avais affaire. Sur son bureau des monticules de gadget aussi improbables que du soleil ou des fous rire en boîte. Il avait des billets « soirées impromptues chez des potes », des tickets gagnants de loto, des bons « je te sauve la mise quand tu déconnes », des cartes « ennui constructif » et sa signature : des merdes portatives dans lesquelles il fallait marcher du pied gauche me précisa t-il pour que chance s’en suive. Je lui dis de ne pas trop forcer sur la merde mais que pour le reste un petit panaché me conviendrait. Au terme de cette étape deux, je me sentis quelque peu centrée sur a moi même et une petite voix de la conscience me souffla qu’il fallait un peu de charité dans tout cela sinon ça risquerai de coincer et d’attirer des administrations mois bienveillantes type impôts célestes. J’obtempérai et alla trouver le saint:  

« Je te donne  » parce qu’on ne peut pas tout vouloir rien que pour soi et que parfois le bonheur des autres peut aussi conditionner le sien. A cette seule pensée je me sentais déjà (presque) bonne. Le type était une image d’Epinale, un croisement entre un basset artésien et Michel Houellebecq. Il proposait des choses aussi absurdes que de se réjouir du bonheur des autres quand soi même on était déficitaire.  De la mobilisation sur injustice, de la rébellion sur pauvreté : trop noble ! Et surtout trop vague, lui dis-je, c’est un coup à ne rien faire. Je préférai m’engager sur des actions moins ambitieuse mais que je pourrai tenir comme aider un aveugle à traverser, avoir de l’empathie sur Tinder ou encore sourire aux gens quand moi-même j’étais triste.  

Je fis une dernière réunion de chantier le vendredi  et nous décidâmes de lancer le projet dès le lundi matin. Quand le réveil sonna, j’étais excitée et pressée de voir les premiers signes du changement. J’ouvris les fenêtres, et trouva le paysage avenant. Même ce grand parking sans âme se déployant à perte de vue devenait un beau bâtiment solide et conquérant. J’entendis alors le vrombissement d’un  moteur accélérant à plusieurs reprises. Ma vie chauffe me dis-je aussitôt ! Allons voir dehors comment ça se passe.  

C’est ainsi que je partis le cœur léger pour un entretien d’embauche. Il faut préciser que j’arrivais au bout du cursus Assedics ayant réussi chaque UV à quelques terrasses de cafés. Je me fis d’ailleurs cette épouvantable remarque à savoir combien de litres de rosé m’avaient été financés sur cette année écoulée. Je préférai y repenser le soir lorsque pour m’endormir, je pourrais ânonner le décompte de mes moutons de verre.  Le rendez vous se passa au mieux, j’eus même le droit à la visite des bureaux après deux heures d’un intensif ping pong conversationnel. On me présenta Cyril, Nathalie, Damien et quelques autres. J’eus  pour chacun d’entre eux un sourire bref, sincère et non mielleux  après quoi je fus raccompagnée vers l’ascenseur. On dit parfois que c’est sur ce petit temps de latence que les  défauts que l’on voulait camoufler peuvent rejaillir ou ce que j’appelle les situations « risque inverse ». On ne parlera pas de scandale, mais je vis à cet instant les yeux de mon interlocuteur descendre vers mon sac d’où pointait le bout d’un « Voici » qui avait pris ses aises et laissant apparaître le logo de pacotille hautement reconnaissable. Après avoir égrené  quelques références littéraires sur le mérite  et déploré l’état du monde en général et sa superficialité,  je sentais comme un vent de discrédit me fouetter le visage. Je pris l’option d’assumer totalement. Quand il releva les yeux je pris un air navré et lui dis que j’avais été meurtrie d’apprendre que Gisèle Bundchen avait trouvé le temps aussi long que ses jambes lors de ses vacances en Sardaigne. J’évitais quand même  de poursuivre sur le tollé général suscité par l’exhibition du popotin montgolfière de Nikki Minaje sur la Promenade des Anglais. Quand les portes se refermèrent je formulai une injonction  vers le faux plafond  m’adressant à Grand Projet et lui dire en substance :  

«  Faites que lundi en huit, je pose mon cul à moi à ce beau bureau blanc, et longue vie à toutes les pouff du R’n’B ! » 

Mon état de stress  allait croissant et pourtant il ne parvenait pas aussi frontalement qu’il l’aurait du. Je repoussais  soigneusement les pensées qui fâchent, les obligeant de ma seule volonté à raser les murs, pour n’avoir plus en tête que de la rêverie. Il y avait bien sûr une raison à cela. J’avais fait la connaissance d’un charmant jeune homme le samedi précédent dans l’enceinte la plus inattendue qui soit sur ce genre de dossier à savoir le salon de mes parents. Vague connaissance à quelques degrés de séparation, il était venu chercher des chauffages d’appoint suite à une négligence sur le ravitaillement  de la cuve de fuel. De chauffage en TER, je fus bientôt transportée par une ivresse naturelle constante, me rendant presque dangereuse lorsque je traversai la route, et n’ayant bientôt plus de cerveau disponible pour autre chose. J’étais heureuse et j’en savourais chaque seconde, pensant même que cela durerai toujours. Je mettais sur pieds les scénarios de notre vie, me rejouant toutes sortes de scènes et notamment de longs baisers de retrouvailles qui me faisaient fondre sur place. Ma nature chimérique en cet écrin s’épanouissait comme beurre au soleil, frôlant même parfois la bêtise.   

J’étais confiante d’un bonheur sans faille, et pourtant, ce fût celle de San Andreas qui se fendit sous mes pieds lorsque les choses commencèrent à se détraquer. Je ne sais plus comment ni pourquoi exactement mais cela démarra par mon éviction d’un WE dont je fus prévenue par mail au moment où je montais dans le train (on salue le courage !). Après j’appris que, selon ses dires, j’étais une sorte de moule pouvant prendre racine sur ses canapés, n’aimant pas ses enfants et ne foutant pas grand-chose dans la maison. Je ne nierai pas que après un mois de relation au rythme de deux jours par semaine,  j’avais bien idée et surtout légitime envie de poursuivre un peu la lune de miel sans pour autant vouloir mettre les petits dans un sac poubelle avec de l’éther ou de me taper les vitres de la baraque !  J’avais certes du assez peu soigner la forme sur mes demandes de nos petits moments à deux et sur ma vision de la place que doit avoir un enfant. Pour autant sa réaction était toujours la même et la plus invalidante qui soit pour moi : je faisais face à un bloc de béton armé d’aucune empathie que ni les mots ni les larmes ne faisaient réagir. Les sanctions furent de plus en plus longues et drastiques. Je vivais comme en sourdine  entre deux tours au piquet dans une sorte d’était de choc, d’incompréhension et de profonde tristesse.  Le fait est que j’allais de moins en moins bien. Ces allers – retours m’affaiblissaient un peu plus chaque fois. Je ne me reconnaissais plus. Je vivais dans l’attente qu’il vienne me voir pour me pincer et me dire que j’avais rêvé, mais bien sur il ne vint jamais.  

Après la tristesse vint la colère. Je me dis que là haut, soit, ils n’avaient rien compris, soit ils ne foutaient rien, et je voulais en avoir le cœur net. J’appelai grands projets. Il se montra un peu confus et me dit que le dossier sentimental était sous la responsabilité d’une certaine  Koopelita. Je demandai à les voir tous les deux au plus vite. Il me fixa rendez- vous sur la plus belle avenue du ciel. Je pris place près d’une grosse étoile qui faisait la gueule. Après trente minutes d’une attente silencieuse à ses côtés, je vis une petite silhouette frêle mais tonique se profiler d’un bon pas. Koopelita sortait du « Sky Fitness Room » une nouvelle salle à la mode par là-haut. Alors que j’expliquais ma version du litige avec GP, je pouvais l’observer les yeux rivés sur son téléphone. Elle jouait à « Satellite Sugar Crunch ». Un jeu idiot où des morceaux de sucre arrivaient de la voie lactée de part et d’autre de l’écran  et qu’il fallait organiser à la Tétris afin d’en brûler les calories sous peine d’avoir son avatar qui enflait à vue d’œil.  

Elle me confessa avoir laissé trépasser René Angelil,  le divin époux de Céline le mois dernier à cause du jeu, mais aussi pour assouvir une coquetterie de son ami « Cheep Reese » , une légende du poker décédée en 1997, qui n’avait depuis lors pas d’adversaire digne de ce nom ici-haut et commençait à régresser. Koopelita précisa que c’était plus discret que de faire monter Bruel. On s’évitait des torrents de larmes sur terre et du bordel au ciel. Par ailleurs, il faut bien reconnaître que l’année avait été prolifique côté musique, les quotas avaient littéralement explosé. Bowie commençait à prendre ses marques, non content de retrouver quelques autres légendes et prenait un plaisir sans bornes à organiser des bœufs sur le toit du monde avec Jacques Brel. Ces deux là s’entendaient comme larrons en foire,  buvant parfois jusqu’au bout de la nuit et Bowie entonnant dans un français approximatif « ne me quitte pas » puis, riant tous deux à gorge déployée. Jackson en bon rabat-joie qu’il pouvait être, se plaignait du bruit. Le pauvre était constamment raillé lorsque, de sa petite voix, il signalait qu’il ne pourrait supporter une énième nuit sans sommeil, précisant que cela lui donnait le teint terne et des idées noires. Tous lui répondaient alors en cœur : 

 « Allez vas-y, un peu de couilles, de toutes façons après y’a plus rien, on est déjà tous sur le rooftop ! ».   

J’étais sidérée de voir comment la vie se passait au ciel et sur les conditions arbitrairement favorables à quelque desseins personnels du rappel de certains candidats. J’en vins même un court instant à ne plus savoir pourquoi j’étais là. Je me dis au passage que tout cela n’était pas désagréable et que, le moment venu cela pourrait  grandement aider à avaler la pilule.  

Je me recentrai cependant rapidement sur mon sujet, imaginant qu’il me restait encore quelques trucs à accomplir sur le gros caillou et précisant à Koopelita que je comprenais maintenant comment quelques dossiers pouvaient passer à la trappe au profit de cette joyeuse folie.  Je lui expliquai que mon histoire arrivait à son comble ou paroxysme puisque nous arrivions à nous re-séparer sans même nous re-voir, et pour ma part ne sachant plus vraiment si nous étions ensemble. Dans ma tête cela dépendait des jours.  

Koopelita avait bâti sa légende sur d’illustres histoires d’amour sa fierté étant celle qui scella le destin de Frank Sinatra et Ava Gardner. Elle fit alors quelques éloges sur cet âge d’or ou les relations n’étaient pas plus faciles mais où une pudeur teintée de romanesque laissait penser qu’elles étaient plus belles et plus profondes. Cette analyse jurait quelque peu avec mon ressenti sur les émules qu’elle pouvait faire dans son créneau. Elle passa sans transition au couple « Tony et Jade ». J’avais beau chercher ça ne me disait rien…. J’eu l’horrible tentation de demander si cela n’était pas un produit du loft ou autre huis clos de cagoles marseillaises et abrutis à muscles saillants. Elle le confirma sourire aux lèvres. Elle était fière. Cette sainte nitouche était donc déjà même incapable de gérer une relation entre deux idiots ce qui pour moi revenait à ne pas savoir remplir la gamelle du chat lorsqu’elle est vide. J’étais dans la panade. De cette ingérence je pouvais aussi bien me retrouver avec un grand sportif bas de gamme ou même juste un con. Ils échangèrent quelques mots entre eux, acquiescèrent mutuellement, puis Koopelita prit la parole :  

« Valentine nous sommes conscients que cette histoire t’a fait beaucoup de mal en peu de temps, néanmoins tout n’était pas de notre fait… Tu devrais également te tourner vers ta mère qui, la pauvre, n’y est pour rien. Elle était aussi heureuse de sa trouvaille sur l’instant qu’elle s’en mord les doigts aujourd’hui. Il faut dire que l’emballage laissait présager du meilleur. On se serait tous fait avoir. Il a d’ailleurs été question que celui que tu pensais être l’homme de ta vie  revienne à Charlotte Casiraghi, c’est dire… et ça flatte quand même un peu l’égo non ?  Cependant, nous fûmes rapidement informés qu’il était fiché « SD » (sentimentalement dangereux). Nous avons alors fait en sorte que ça se termine. Souviens-toi de ces affreux 400 km en voiture sans qu’il t’adresse la parole et pour finalement t’abandonner sur le parking de ton frère, eh bien c’était nous. On l’avait verrouillé exprès ! Nous pensions que cela te vaccinerai. Mais tu étais coriace et tu as eu  besoin de t’en prendre beaucoup plus dans la tronche pour finalement te rendre à l’évidence. L’idée était que tu ne perdes pas trop de temps.  Et puis franchement, tu aurais été si malheureuse seule en province devant ton herbage, en proie à un pervers narcissique faussement généreux et devant partiellement élever un gamin qui, aussi attachant soit il, aurait nécessité la mobilisation de deux vigiles et un psy pour pouvoir enchaîner ne serait-ce que deux heures tranquille. Et encore, bénis nous tu  ne te coltineras pas  l’adolescence ! Dieu seul sait le calvaire que ce sera, il nous l’a dit…. Nous te prions donc de  faire amende honorable, nous avons certes manqué de maîtrise sur le déroulé des opérations mais saches que ton grand bonheur amoureux tu ne l’as pas encore décroché. Il se ballade d’ailleurs en ce moment même vers la place des Victoires. Et pas d’empressement, il ne sera pas tout de suite pour toi. Il va devoir faire quelques crochets par des histoires mélodramatiques sans fondement pour te parvenir à sa pleine maturation. Et il en ira de même pour toi. Bon allez tu peux redescendre maintenant et n’oublies pas en attendant : savoure ta liberté et surtout détends-toi par pitié ! ».  

De retour au bercail sur terre cette discussion apporta un éclairage différent à la situation. J’étais libre et j’avais oublié comme cette sensation était agréable. Je retrouvais goût à ma vie. Même l’air redevenait bon. Il était frais et  transgressif.